L’américain Phil Spector a laissé une empreinte non négligeable dans le monde de la production musicale et plus globalement son industrie. Mais il demeure néanmoins un des personnages les plus controversés de l’histoire de la musique. Outre un total rejet du personnage suite à l’affaire Lana Clarkson, Spector ne connaît pas un engouement unanime sur le plan strictement artistique.
Revenons ensemble sur ce type désormais aux allures de vieille mamie et sur sa véritable dualité entre un homme violent, bipolaire mais véritable révolutionnaire.
Précoce.
C’est d’abord sur le devant de la scène que Phil Spector se distingue. En 1958, il fonde le groupe The Teddy Bears et sort la même année le tube “To Know Him Is To Love Him”. Le titre devient numéro 1 au États-Unis et se vend à plus d’1,5 million d’exemplaires. Spector n’a alors que 19 ans…
Le groupe se sépare l’année suivante et Phil commence à s’intéresser à la production musicale. Il connaît un immense succès avec les groupes The Ronettes , The Crystals, Darlene Love ou bien The Righteous Brothers. Presque tous les titres produits au débuts des années 1960 par Spector connaissent le succès. Il devient rapidement riche et influent dans le milieu. En 1966 il produit Ike et Tina Turner. Ne serait-ce que pour la collection, nous conseillons de mettre la main sur le coffret Phil Spector Presents the Philles Album Collection. Le son y est M.O.N.U.M.E.N.T.A.L !
La Touche Spector et le Wall Of Sound.
Il développe une technique de production bien personnelle et reconnaissable. À l’apogée de l’enregistrement en mono, il est l’un des pionniers de ce que les musiciens appellent les “re-re” ; à savoir, le fait d’enregistrer plusieurs fois le même instrument, et de l’utiliser de manière doublée ou triplée, en lui donnant de la réverbération pour mixer le tout comme on préparerait un mille-feuille géant.
Cette technique va séduire des deux côtés de l’Atlantique notamment chez les Beach Boys (le groupe américain emprunte ses initiales pour leur album Pet Sounds, Brian Wilson le considérant comme un grand rival). Les scarabées de Liverpool seront également rapidement intéressés par cette trouvaille du Géo Trouvetou de la production…
Phil Spector va développer cette technique jusqu’au point de rupture en effectuant sa technique de production avec des sections cuivres et des orchestres symphoniques. C’est la naissance de ce qu’on l’on appelle le “Mur de Son” (Wall Of Sound en anglais).
Let It Be…
En 1970, le manager des Beatles (au grand dam de Paul McCartney) ; Allen Klein invite Spector à Londres pour produire l’album Let It Be.
L’album est issu de sessions d’enregistrement dans les studios de Twickenham et Apple (situé à Savile Row) en janvier 1969 mais laissé de côté par un groupe en pleine séparation et préparation de projets en solo.
Le travail de Phil Spector sur Let It Be est certainement l’une de ces plus célèbres contributions mais également l’une des plus controversées. En effet, Paul McCartney n’a jamais digéré la surcharge orchestrale de Spector sur l’album et notamment sur son morceau “The Long And Winding Road”.
Ce dernier sortira en 2003 sa propre version (la version “non spectorisée”) intitulée Let It Be Naked (Naked pour “nue”).
Mais que dire de ce travail ? La production de Spector est celle que nous connaissons à l’origine et qui a permis la sortie de singles très forts comme Let It Be ou Get Back, des tubes qui seraient sans doute restés dans les cartons…
Imaginez Phil Spector…
La collaboration avec les Beatles s’arrête ici.
En théorie car ça n’est pas pareil dans les faits. John Lennon et George Harrison font appel à Spector pour produire leurs albums solos.
C’est le cas du sensationnel All Things Must Pass de Harrison où la technique de “Mur de Son” est ici un élément constitutif du succès de l’album. C’est également le cas des deux premiers opus de John Lennon : Plastic Ono Band et Imagine. La production de ces albums est incroyablement riche et le mariage entre les compositions et la technique est savoureux.
Spector collaborera également sur la production du triple live The Concert For Bangladesh sur lequel nous retrouvons encore une fois George Harrison mais également Eric Clapton, Ringo Starr, Bob Dylan, Leon Russell ou bien les gallois du groupe Badfinger.
Bipolarité et Armes à Feu.
Parallèlement à la montée de Spector dans les sommets, il développe un caractère violent et bipolaire.
Dans son livre Here There And Everywhere, My Life Recording The Beatles, Geoff Emerick nous apprend par exemple que Spector gardait en permanence un revolver à sa ceinture et pouvait tirer des coups de feu sur la console. Un comportement dangereux qui aura raison sur son travail. C’est d’ailleurs lors d’une crise de folie en pleine production de l’album Rock ‘N’Roll de Lennon, que ce dernier brandit un fusil et s’enfuit avec les bobines de l’ex-membre des Beatles. Dans les années 1980 il produit les Ramones pour l’album End Of The Century. Il s’agit ici de sa dernière grosse collaboration achevée…
Sa bipolarité ne s’arrange pas ce qui mais fin parfois avant même d’avoir commencé à une multitude de projets débutés notamment avec Leonard Cohen puis, plus tard avec Céline Dion.
L’affaire Clarkson
En 2009, il est reconnu coupable et condamné à 19 ans d’emprisonnement pour le meurtre de l’actrice Lana Clarkson en 2003. Il l’aurait forcée à sucer le bout d’un fusil tout en appuyant ensuite sur la gâchette. Spector plaide alors le suicide accidentel qui ne sera pas retenu par la Cour.
Le producteur purge donc toujours sa peine de prison et a perdu toute notoriété et respect vis-à-vis de son travail de production.
L’Art ou l’Art ?
Phil Spector n’est pas le premier artiste à s’interposer dans le débat mêlant sa reconnaissance artistique à un passé criminel. Son nom se joint à la liste des Roman Polanski ou autre Gary Glitter. Le débat est ouvert : leurs crimes doivent-ils totalement effacer leurs productions ? Pour Phil Spector la question se pose car bien que récompensé par une intronisation au Rock’N’Roll Hall Of Fame, son travail de production connaît une réputation inégale justifiée soit par une haine du personnage au niveau de son activité judiciaire soit par une sorte de masturbation intellectuelle et totalement contradictoire visant à dénigrer son travail sur des productions comme Let It Be tout en glorifiant ce qu’il a pu faire sur All Things Must Pass ou Imagine. Ce genre de critique ne sachant peut-être pas qu’il est le producteur de ces deux derniers titres.
À bientôt sur nos réseaux.
T.
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