La fin de l’année 1967 avait vu les Rolling Stones faire un flop avec l’expérimental Their Satanic Majesties Request, un album qui n’avait malheureusement pas séduit malgré sa grande richesse mais qui laissait tout de même apparaître les prémices d’une véritable révolution musicale menée par le groupe londonien.
Ce grand bouleversement a lieu avec en 1968 la sortie de Beggars Banquet, un album que la critique appréciera comme le premier chef-d’œuvre du groupe.
Mais outre l’aspect musical, l’album marque aussi un tournant dans la vie du groupe en voyant le début de la descente aux enfers de Brian Jones ; leur fondateur.
Sorti dans un contexte historique mêlant révoltes de la jeunesse, guerre du Vietnam et assassinats politiques, Beggars Banquet est l’un des albums majeurs de cette année 1968 mais aussi de la décennie.
La Fracture Jones/Glimmer Twins.
Nous sommes en janvier 1968, les Stones se retirent dans leurs diverses résidences après les longs mois d’enregistrement de leur précédent opus.
Charlie Watts attend dans sa demeure de Lewes la naissance de sa fille Seraphina, Bill Wyman se détend dans son manoir du Suffolk pendant que Mick Jagger emménage avec Marianne Faithfull et Keith Richards avec Anita Pallenberg.
Pendant ce temps, seul, Brian Jones se remet difficilement de sa séparation avec Anita. Il n’a jamais été aussi dépendant des drogues et connaît de nouveaux problèmes avec les autorités à ce sujet.
Le fondateur du groupe est donc loin de l’enthousiasme de ses compères et aspire à un univers artistique bien différent du tandem Jagger/Richards qui commence à s’imposer au sein de la formation.
Brian avait brillé lors de l’enregistrement de Their Satanic Majesties Request par la richesse de ses expérimentations avant-gardistes à base de mellotron et d’effets sonores novateurs. C’est justement dans ce sens que l’artiste veut désormais s’engouffrer aux dépens du Rock’n’Roll et du Blues qui inspirent les autres membres du groupe.
Des Fleurs Mortes…
L’année 1968 n’a rien à voir avec l’état d’esprit de l’année précédente.
Fini le Flower Power à base de Peace & Love ☮ et de psychédélisme. Le contexte évolue, la guerre fait rage au Vietnam, Martin Luther King Jr. est assassiné, les “Blacks Panthers” entrent dans la danse… Nous sommes dans une atmosphère de violence qui va nettement influencer les courants musicaux.
Le contexte amène les Rolling Stones à se positionner tant sur le plan musical que politique.
Leurs précédents albums n’étaient que des compilations d’excellentes reprises Blues et Rock agrémentées de quelques compositions et le dernier en date : une pure parenthèse psychédélique…
Beggars Banquet est enfin un premier pas vers un son réellement façonné et personnel qui deviendra au fil du temps et des albums le son propre (ce qui est paradoxal) aux Rolling Stones.
It’s a Gas Gas Gas !
Première révolution notable, la sortie au mois de mai 1968 du single “Jumpin’ Jack Flash” ...
Le morceau, qui est devenu depuis un incontournable de leurs prestations scéniques est le premier aperçu de l’album à venir en fin d’année… Véritable fruit de la collaboration entre Mick et Keith le morceau est basé sur un riff tonitruant d’une puissance égale voire supérieure au hit qu’était “Satisfaction” .
La paternité de ce riff étant revendiquée également par Bill Wyman, mais qu’importe, les Rolling Stones marquent dès lors une première véritable emprunte sur le genre en revenant à un son brut et par moments assez violent.
Pendant que les Beatles ou les Pink Floyd continuent leurs expérimentations diverses les Stones restent fidèles à leurs influences antérieures en profitant de l’avancée technologique du studio Olympic qui vient de faire l’acquisition d’un Ampex 8 pistes…
Pleased to Meet You…
C’est en décembre 1968 que Beggars Banquet sort chez Decca. La sortie a été retardée à cause d’une querelle concernant la pochette. La maison de disques souhaitant voir apparaître le nom de l’album au format “carton d’invitation” tandis que le groupe souhaitait mettre en avant des sanitaires couverts de graffitis.
C’est finalement la maison de disques qui a eu le dernier mot (ce qui n’empêchera pas le groupe d’imposer son choix lors des rééditions postérieures).
L’album s’ouvre avec l’hymne au malin : “Sympathy For The Devil” . Nous avons ici l’archétype même du morceau mythique à la fois de par son ensemble et par chacune de ses composantes.
D’abord, une introduction de percussions types congas agrémentées des “Ouh ouh” en backings vocals. Puis, une partie de piano par le brillant Nicky Hopkins à laquelle vient s’ajouter une ligne de basse démoniaque jouée par… Keith Richards.
Keith est le véritable chef d’orchestre. Il est omniprésent sur la production du morceau pendant que Mick pose avec sa voix un texte bourré de références historiques et contemporaines mettant Lucifer en scène.
Un enregistrement immortalisé par la caméra de Jean-Luc Godard et qui montre encore une fois l’influence grandissante du duo Jagger/Richards au détriment de Brian Jones…
Enfin, dernière composante majeure du morceau, un solo de guitare par le maître du riff pour clôturer ce morceau de légende. Mais la magie de Beggars Banquet ne se limite pas à “Sympathy For The Devil” .
Le Façonnage du “Son” Stones.
La suite de l’album se traduit par un enchaînement de morceaux de Rhythm n’Blues et des ballades Folk non sans rappeler le maître de l’époque Bob Dylan. Le tout est cependant beaucoup mieux produit, et certainement beaucoup plus travaillé comme le montre l’excellent “Jig-Saw Puzzle” ou “Factory Girl” . Les Stones donnent également un sens à leurs musiques, le second titre “No Expectations” n’est pas sans rappeler la tourmente que connaît Brian Jones tant dans sa vie sentimentale que judiciaire… L’album est également l’occasion de mettre en avant certains traits de l’humour noir qui fera la caractéristique des Glimmer Twins avec Dear Doctor. Le docteur en question, tout comme le “Doctor Robert” des Beatles pourrait être un dealer.
Ce qui importe véritablement dans Beggars Banquet, c’est de voir comment les Stones parviennent à réécrire le Rhythm n’Blues à la manière de La Fontaine réécrivant Ésope… C’est le cas de “Parachute Woman” , première pièce des morceaux Blues stoniens d’excellente facture, ou encore de “Prodigal Son” , ici une reprise de Robert Wilkins.
Mais outre le fait de réécrire le Blues, les Stones le violentent avec comme exemple “Street Fighting Man” , morceau référence aux différents mouvements de contestations de mai 1968 partout en Europe.
Le titre devient l’un des classiques du groupe contrairement à “Stray Cats Blues” qui voit ici les premières expérimentations d’accordages open pour Keith Richards. L’album se conclut par la ballade “Salt Of The Earth” , sorte de mélange Country/Blues et de Gospel. Un morceau ambitieux qui voit le chant se partager entre ce duo Jagger/Richards qui termine ici de s’imposer…
L’Amorce d’une Gigantesque Bombe Rock’n’Roll.
Their Satanic Majesties Request avait un an plus tôt montré toute le potentiel mélodique et expérimental des Rolling Stones. Beggars Banquet va encore plus loin et façonne véritablement le son du groupe pour l’avenir. Un avenir sans Brian Jones, avec Mick Taylor. Un avenir dans lequel Bobby Keys viendra jouer une note cuivrée. À partir de Beggars Banquet, le groupe ne va faire que progresser et littéralement se surpasser. En particulier, Keith Richards avec son accordage en open de sol, ainsi que Mick Taylor à la guitare solo. Le son mythique des Rolling Stones se construit donc pour la décennie à venir, une décennie qui va inscrire le groupe comme l’un des meilleurs groupes de Rock’n’Roll de l’Histoire.
À bientôt sur RefrainS.
T.
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