Le Phœnix Pop.
Hammersmith Odeon, 1973 : après la folie engendrée par la sortie de ses deux albums, “Ziggy Stardust” est tué par son créateur devant un public abasourdi. La décision fut pourtant mûrement réfléchie, et ce dès que la sortie de l’album The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars a commencé à déclencher une hystérie populaire digne de la Beatlemania.
Cette folie, aussi grandiose soit-elle, ne pouvait que le tuer, en l’emprisonnant dans ce personnage androgyne qui transcendait le Glam. Ce genre de fanatisme à failli tuer les Beatles, qui brisèrent eux aussi leurs images en produisant le récital grandiose du “Sergent Poivre”, elle tuera Bowie s’il ne parvient pas à inventer autre chose.
Ziggy a été sacrifié pour permettre la naissance de ce Bowie maintes fois salué, qui annoncera les modes à venir au fil de ses albums. Il passe ainsi au Funk, et écrit le tube “Fame” avec l’aide d’un Lennon qui sort lui aussi de son âge d’or. Moins tubesque, “Station To Station” annonçait déjà un goût pour les expérimentations Pop.
De la Construction d’un Univers sans Limite au Besoin de Reconnaissance.
Bowie était un véritable explorateur Pop, qui retravaillait les sons entendus lors de ses recherches, pour mettre l’avant-garde à la portée du grand public. La “trilogie berlinoise” est bien sûr le symbole de cette ambition. Bowie revenait d’Allemagne la tête pleine de mélodies électroniques, qu’il allait se réapproprier.
À ce titre, Heroes était sans doute le sommet de cette trilogie, l’album qui parvenait à faire de la Pop avec une inspiration clairement expérimentale. Et puis il a voulu entrer dans le rang des superstars planétaires, à une époque ou Bruce Springsteen et Michael Jackson avaient vendu des palettes de leurs dernières productions.
Succès Mondial et Déclin Artistique.
Le résultat sera commercialement à la hauteur de ses espérances, mais sonnera le glas du Bowie avant-gardiste, qui nous a menés dans tant de paysages sonores dont nous ne soupçonnions même pas l’existence. Let’s Dance était donc le début de la fin, et beaucoup ont lâché Bowie après cette superproduction boursouflée, dont la médiocrité artistique sera confirmée par le ratage de l’album suivant. Vint ensuite la période Tin Machine, et son Rock rugueux et peu inspiré, Bowie refusait de ressasser son passé, sans parvenir à trouver un second souffle.
On n’était certes pas au même niveau d’obsolescence qu’un McCartney, qui à partir des années 80 masquait son essoufflement, en le cachant derrière quelques concessions faites aux modes de son époque. Mais qui écoute encore régulièrement les essais expérimentaux un peu fades de Earthling, Reality ou Heathen ? Cet album témoignait pourtant d’une certaine renaissance, avec quelques titres aussi réussis que “The Letter”, “Reality” ou “I’m Afraid Of Americans”.
Frayeur et Retour Inattendu.
Le bilan global de ces disques restait mitigé, et seul le live, le Reality Tour était doté d’une classe et d’une énergie digne de la grande époque “Bowienne”. C’est d’ailleurs lors de cette tournée que Bowie fit un malaise, événement d’autant plus inquiétant qu’il marquait le début d’un silence de 10 ans. L’homme était parti se reposer à New York City, loin de l’agitation du show business. Mais, malgré son silence et l’arrêt définitif de ses concerts et en dépite du fait que ses disques ne suscitaient plus un très grand enthousiasme depuis des années, la presse a salué son retour en grandes pompes.
Bien qu’il se contente, pour l’essentiel de revisiter la Pop électronique de Heroes, The Next Day renouait avec le lyrisme irrésistible de ses grandes heures. Et puis, alors qu’il travaille déjà sur la comédie musicale Lazarus, Bowie se fait diagnostiquer un cancer en 2014. Dans le même temps, il travaille sur ce qui sera son testament musical, le sombre Blackstar.
L’Étoile Noire Brille pour Toujours.
Entouré de musiciens d’avant-garde, l’homme produit une musique hybride, un Jazz-Rock électronique et sombre. Il est difficile de ne pas voir ici une mise en scène de sa disparition prochaine. Même si, à l’image du héros, Lazare ; ressuscité par sa dévotion envers le Christ, la découverte d’une nouvelle avant-garde semble faire naître à nouveau le Bowie créatif qu’on attendait tant. L’album a des airs d’oraison funèbre.
L’impression sera confirmée par ce clip, sorti quelques mois avant la mort du chanteur, et qui le montre les traits tirés et le visage bandé, s’excitant sur ce qui ressemble à son lit de mort. La musique, elle aussi, était empreinte d’une tendresse nostalgique. Bowie regardait ce qu’il avait accomplit, avec la douce nostalgie de ceux qui s’en vont sans regret.
Les improvisations Free Jazz tissent des mélodies réconfortantes et séduisantes, alors que les synthétiseurs et autres programmations électroniques plantent un décor qui flirte parfois avec la tristesse de Low. Une chose est sûre, Blackstar est un disque unique, qu’on redécouvre à chaque écoute. On est en droit de se demander si ce dernier album, sorti quelques jours avant la disparition de son auteur, n’est pas l’aboutissement artistique d’un Bowie qui a transformé sa mort en chef d’œuvre musical.
Dans tous les cas, Blackstar dépasse toutes les étiquettes, toutes les références, et ses mélodies aussi sombres que somptueuses, riches constituent le grand poème musical d’un artiste sorti par la très grande porte.
C’était il y a déjà trois ans, et l’étoile noire brille encore de tout son éclat.
À bientôt sur RefrainS.
B.
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